Projection : Woman at War

Projection : Woman at War

Compte rendu de la discussion collective après la projection publique de Woman at War (réalisé par Benedikt Erlingsson, 2018), organisée par le collectif Voix Déterres. 

Movie Woman at War - Cineman

Nous avons mis en commun nos interprétations et sensibilités individuelles à partir du film, afin d’en élaborer ensemble une analyse écoféministe. Nous tenons à partager nos réflexions car celles-ci montrent la puissance et la nécessité du collectif : à plusieurs voix, notre force et notre intelligence seront toujours décuplées. 

Le film aborde plusieurs thèmes qui s’entrecroisent : la féminité (et la masculinité), l’activisme, l’écologie, le féminisme – voire même l’écoféminisme !, le racisme… Voici une synthèse des réflexions qui ont émergé lors d’une discussion collective.  

Les deux sœurs. 
Les deux sœurs représentent les luttes extérieures (Halla) et intérieures (Ása). Le fait qu’elles soient jumelles n’est pas anodin : elles peuvent être perçues comme deux personnes différentes, ou bien comme les parties d’une seule et même personne. Dans la lutte écologiste revient souvent le débat suivant : « vaut-il mieux poursuivre un changement intérieur en changeant ses propres habitudes, ou vouloir opérer un changement extérieur et plus systématique sur la société ? ». Les deux sœurs montrent qu’il n’y a pas forcément une vision meilleure que l’autre et que l’une est nécessaire à l’autre. Chacune des sœurs et chacune des visions a sa place. 
Elles posent également la question de la violence et de la non-violence, en y répondant ainsi : l’une est faite pour la « violence » et l’autre pour la « non-violence » (ces notions étant évidemment relatives), ce n’est donc qu’une question de caractère, voire de moments de vie si on les considère comme étant deux parties d’une même personne. On le voit dans la scène où Ása vient prendre la place de Halla en prison : les deux se confondent, l’une parle à la place de l’autre, en échangeant leurs habits. C’est grâce à cette complémentarité que les deux s’en sortent (ça ne change pas grand-chose pour Ása qui comptait aller méditer dans l’isolement). 

Les deux sœurs sont proches de la Terre-Mère, mais de façons différentes : Halla l’est de façon pratique tandis que Ása l’est de manière plus psychologique, ce qui se comprend notamment lorsqu’elle donne ses cours de yoga. Les deux sont proches de la nature de façon spirituelle – l’Islande étant une terre de spiritualité. La nature aide Halla lorsqu’elle est pourchassée : elle fait baisser la température de son corps, elle la réchauffe, elle la cache (peau de mouton), elle lui permet de sentir quelque chose d’agréable (les fleurs), elle permet de faire le deuil de la maternité (photo de sa fille qu’elle enterre sous la mousse). Par les beaux paysages, on montre une certaine connexion avec la Terre.  

La maternité.
Le sujet de la maternité est intéressant dans ce film. En effet, on peut se demander pourquoi il joue un si grand rôle dans ce film radical alors que la maternité peut être parfois vue comme une oppression dans certains courants du féminisme. Mais le sujet de la maternité est ici abordé de manière non conventionnelle. Par exemple, on rappelle souvent aux femmes que leur « horloge biologique » tourne et qu’il serait temps d’avoir des enfants. Or Halla a la cinquantaine (âge considéré trop tardif pour avoir des enfants) et souhaite materner, ce qui est inhabituel au regard des dictats de la société. De plus, elle souhaite avoir un enfant seule, sans compagnon/compagne, et l’adopter. Ces deux aspects ne sont pas souvent montrés dans les représentations de la maternité. Le fait d’adopter un enfant qui existe déjà peut être vu comme une pratique écolo et montre qu’il est possible de « materner » sans être une femme, sans être fertile, et sans être en couple. Cela dénaturalise le fait d’être mère. 
De plus, elle n’arrête pas son activisme pour être mère : pour elle, les deux sont compatibles, et même nécessaires. Le seul moment où elle décide de renoncer à son enfant, c’est par amour pour sa sœur, lors de la très belle scène où elle enterre la photo de sa future fille sous la mousse. Lorsque Halla dessine avec sa (future) fille, la première fois qu’elles se rencontrent dans l’orphelinat, elle dessine une fleur avec des racines. Dessiner les racines d’une fleur est assez rare pour que ce soit mentionné. Si on reprend l’étymologie de « radicalité », c’est-à-dire « racine » : par ce dessin on peut y voir un souhait de sa part de montrer qu’elle est radicale, et qu’elle reste radicale malgré son envie de materner.  

La scène finale est très intéressante. Elle donne tout le sens de ses actions : son activisme et son envie d’avoir un enfant. En effet, lorsque le bus s’arrête car le sol est inondé (à cause d’un déluge presque biblique), elle porte sa fille dans ses bras. D’une certaine manière, elle aide la génération future à s’en sortir, à la fois par sa maternité et son activisme. De plus, on voit que même si la technique s’arrête (le bus ne peut plus avancer), tout va bien. C’est une preuve concrète de ce que Halla souhaite montrer par son activisme.   

Le rôle de la musique. 
On peut remarquer la force de la musique tout le long du film. La musique joue aussi un rôle important dans la vie de Halla car elle est directrice d’une chorale.Les trois musiciens (hommes) représentent les moments de lutte tandis que les trois chanteuses (femmes) représentent la maternité. La musique est montrée de manière surprenante : les musiciens et les chanteuses sont montré.e.s et parfois interagissent et jouent avec les actions des personnages, ce qui rend les scènes comiques. A la fin, les deux groupes se rejoignent pour jouer et chanter en même temps : la lutte et la maternité s’imbriquent sur la scène de fin.   

Le rôle des médias. 
Les médias récupèrent les actes de Halla et les transforment, ce qui ne joue pas en sa faveur – ce qu’on peut observer également dans les vraies luttes. Ils sont en position de force car tout le monde les croit. Ceci montre que le langage, ou du moins le langage mainstream, n’est pas compatible avec les luttes écologistes. La scène où des personnes importantes du projet d’aluminium (?)* visitent un endroit (lequel ?), ils lisent le communiqué de Halla et ont clairement peur, puis ils se réunissent en cercle et fomentent un coup de communication (c’est la femme qui les réunit ?) : cette scène montre que les médias peuvent être manipulés par des industries pour leur survie. La scène où elle écoute dans la rue tous les médias parler de son action, relate bien ce qu’on vit en faisant une action de ce type : on voit les médias s’emparer du sujet et déformer les propos pour faire de l’audience, du sensationnel, et condamner ses actions.  

Le film s’intéresse également au débat : agir seul.e ou en groupe. Halla a choisi d’agir seule, sûrement pour se protéger et protéger ses proches, mais elle en souffre : elle ne peut pas demander d’aide (ou ne veut pas) et ses actions militantes entravent ses projets de vie, comme l’adoption. Mais même si elle est seule, elle arrive à faire beaucoup d’actions, tout en restant parfois épaulée par ses proches.  Nous nous sommes interrogé.e.s sur le choix d’une lutte solitaire plutôt que collective. Nous avons émis l’hypothèse qu’il était plus facile d’héroïser une lutte individuelle que collective.  

Le féminisme. 
Halla est une héroïne, ce qui est assez rare pour que ce soit mentionné. Les hommes n’ont qu’un rôle d’aide (important cela dit) ou d’ennemis. Elle est féministe (sans être montrée comme contre les hommes), mère, sœur, cousine. Elle prend beaucoup de risques. C’est une femme sans enfant au début, et avec un enfant non biologique à la fin, et reste célibataire. Cela incite à faire des familles, mais pas forcément biologiques. L’importance de la famille est soulignée lorsque le cousin accepte de l’aider, quand il comprend qu’il a sûrement un lien de parenté avec Halla. Elle est une héroïne, mais elle reprend tout de même certains codes masculins d’héroïsme. 
Il n’y a pas d’histoire d’amour (romantique) dans ce film. Le cousin en joue même à un moment lorsqu’il ouvre la porte alors que Halla est sous la douche.  
La scène des vestiaires est une scène féministe. On voit des corps de femmes nus, sans qu’ils soient normés : les deux sœurs ayant la cinquantaine et à l’arrière-plan on aperçoit une grosse femme nue. Même si le fait de montrer son corps ne semble pas être un problème en Islande, c’est important de le remarquer.   

En plus de la scène du bus, le film parle de la technique, et du low tech : Halla fabrique elle-même ses outils (elle fabrique son arc ?), elle écrit avec une machine à écrire, sa scie électrique ne fonctionne plus et donc elle finit avec l’huile de coude. C’est rare de voir une femme, dans les représentations, se servir d’outils de ce type. 

Le racisme. 
Les scènes avec le touriste chilien se baladant en vélo semblent être seulement la « caution rire » du film (toutes les scènes avec lui sont drôles), alors qu’elles parlent du racisme d’Etat, et ne semblent pas être un hasard. Il est arrêté et tout de suite supposé coupable et terroriste parce qu’il n’est ni Islandais ni blanc. De plus, sans lui, Halla n’aurait pas été capable de s’échapper. Le film dénonce également l’islamophobie des médias lorsqu’ils disent qu’Al Qaida a réalisé cet « attentat ». Une femme seule n’est-elle pas assez menaçante ? 

* Les parties en italique indiquent une incertitude sur la description du film, mais ne remettent pas en question le propos global. 

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