Grâce au travail immense de militant.e.s, la grossophobie a fait son entrée officielle dans le dictionnaire en 2019 comme « attitude de stigmatisation, de discrimination envers les personnes obèses ou en surpoids ». Cette victoire symbolique a permis de mettre des mots sur des maux.
Pourtant la grossophobie reste souvent un impensé, un angle mort des luttes féministes intersectionnelles.
La grossophobie est à l’intersection du sexisme, du racisme et du classisme. Dans la société patriarcale dans laquelle nous vivons un contrôle social s’exerce sur nos corps, surtout sur les corps des personnes racisées et des personnes sexisées. La pression sociale nous enjoint à contrôler nos corps pour chercher à correspondre aux normes sociales de beauté, le corps mince, blanc et valide étant considéré comme la norme. On demande aux femmes d’avoir un corps désirable, le corps des femmes grosses ne correspond pas à ce modèle, à ces normes de beauté grossophobes, sexistes et validistes donc il est rejeté, moqué.
« Quand vous êtes en surpoids, à bien des égards, votre corps entre dans le domaine public. Il est constamment à l’affiche. Les gens projettent dessus des histoires qu’ils s’inventent, mais la vérité de votre corps ne les intéresse pas du tout, quelle qu’elle soit. » Roxane Gay
On ne doit pas prendre trop de place dans l’espace public en tant que personne sexisée et lorsqu’on est une femme grosse on nous fait bien comprendre qu’on en prend trop, qu’on déborde, qu’on sort du cadre, qu’on dérange. La pression sociale enjoint les corps gros à se réduire, à se faire violence par des régimes restrictifs ou des chirurgies bariatriques pour rentrer dans le rang. S’opposer à ce contrôle sur nos corps est éminemment féministe.
L’autrice féministe Naomi Wolf a d’ailleurs écrit : « Une culture fixée sur la minceur féminine n’est pas une obsession de la beauté féminine, mais une obsession de l’obéissance féminine. » Selon elle, « le régime est l’un des plus puissants sédatifs politiques de l’histoire des femmes », d’ailleurs l’un des plus célèbres slogans anti-grossophobie est « Riots Not Diet ».
La lutte contre la grossophobie a donc toute sa place dans les mouvements et réflexions féministes mais aussi au sein de l’écoféminisme. D’une part, parce que l’écoféminisme que nous défendons est issu d’une réflexion intersectionnelle et cherche à lutter contre toutes les formes de discriminations et oppressions systémiques de notre société capitaliste, hétéropatriarcale, colonialiste et validiste. D’autre part, parce que l’écoféminisme cherche à dépasser et transcender les dualismes hiérarchisés issu des soi-disant Lumières tels que homme/femme, humain/animal, culture/nature, raison/émotions, esprit/corps… Pour dépasser ces dualismes, l’écoféminisme cherche à revaloriser ce qui a été infériorisé et nous invite à nous réapproprier nos émotions, notre corps et notre animalité.
« J’aimerais très fort qu’on pose un regard doux sur la grosseur, qu’on ne l’associe plus à la laideur ou à la paresse, qu’on cesse de voir les corps gros comme des corps de transitions, qu’on les sorte du prisme médical. Mais j’aimerais aussi qu’on les sorte du prisme des traumatismes et de la violence… J’aimerais qu’on puisse arriver à penser une grosseur saine et bien vécue. Une grosseur heureuse. » @corpscool, fat activist.
L’industrie des régimes se fait des millions sur le dos de notre mal-être, diffusant des images de corps aux standards de beauté inatteignables dans des publicités grossophobes spécialement conçues pour nous faire complexer et détester nos corps. Alors réapproprions-nous nos corps, apprenons à les apprivoiser et arrêtons de donner des sous à des entreprises qui profitent de notre mal-être et qui l’entretiennent.
« l’écoféminisme me permet de réfléchir à comment habiter le monde et cela commence par comment habiter mon corps. Réhabiliter ma corporalité et mes émotions comme miennes et importantes me permet de questionner la norme sociale plutôt que mon propre corps, entamant ainsi un chemin de réconciliation avec lui, rejetant la norme qui me pousse à le détester. »
Voici quelques ressources pour en savoir plus sur cette discrimination systémique et comment la combattre.
Les livres :
Gros n’est pas un gros mot, Chroniques d’une discrimination ordinaire de Daria Marx et Eva Perez-Bello du collectif Gras Politique.
On ne naît pas grosse de Gabrielle Deydier
Hunger de Roxane Gay
Beauté fatale de Mona Chollet
Grossophobie, sociologie d’une discrimination invisible de Solenne Carof
Le dernier numéro de Women who do stuff consacré aux corps
- Les documentaires :
On achève bien les gros avec Gabrielle Deydier
Ma vie en gros de Marie-Christine Gambart avec Daria Marx
La saison 2 d’Océan sur France TV slash notamment l’épisode 6 « Médecine et grossophobie »
- Podcast :
Un podcast à soi de Charlotte Bienaimé (Arte radio), tous les épisodes sont géniaux mais sur le thème des corps nous recommandons « Le gras est politique », « Féminismes et handicaps : les corps indociles » ainsi que les deux excellents volets sur les mouvements écoféministes : « Défendre nos territoires » et « Retrouver la terre ».
Les Sorts de la Cité est un podcast qui parle de la ville sous le prisme de l’écoféminisme. Dans l’épisode 2 il est question des corps dans la ville, on y parle de grossophobie et de validisme.
Bonne écoute !
- Des projets à suivre :
Fat friendly : https://growfunding.be/fr/projects/fatfriendly
Un projet par des personnes grosses pour des personnes grosses afin de référencer les lieux accessibles. Iels ont mis à disposition leurs ressources pour penser la grosseur ici : https://docs.google.com/document/d/1kQHQ6YEbBB5u_Re1jcv9ncNJ0MUHgKrWiEEJg_NRaKk/edit
Le travail militant de Gras politique avec des cercles de parole, du yogras, liste de soignant.e.s safe…
https://graspolitique.wordpress.com
- Quelques articles de presse :
Et un blog : https://theutoptimist.blogspot.com
N’hésitez pas à contribuer en ajoutant des ressources sur ce sujet en commentaires 😉